Le vendredi 14 novembre, à 14h en salle Bourjac, à la Sorbonne, nous étions quelques personnes à attendre la soutenance HDR de Jérémi Sauvage. Dans cette salle qui sent l’ancien, où les vitrines regorgent de thèses poussiéreuses de personnages illustres, nous avons pourtant entendu quelque chose de très nouveau, collé aux problématiques du contemporain….
Jérémi Sauvage, docteur ès Sciences du langage est un chercheur en didactique de la langue qui a enseigné. Professeur de primaire et de collège il a été confronté à la réalité et on sent que ses préoccupations scientifiques sont totalement conditionnées par ses préoccupations humaines et sociales. Il s’intéresse à l’acquisition et didactiques des langues chez l’enfant depuis plus de vingt ans. De façon plus générale, c’est la naissance et le développement de l’intelligence qui attire son attention. Se réclamant linguiste, il défend une approche linguistique de l’acquisition.
Au cours des vingt cinq minutes qui lui ont été accordées pour présenter son projet, son parcours et ses objectifs pour la suite, il a défini ses objets de recherche comme étant les normes linguistiques et sociales ; la construction de la signification au sens linguistique, mais aussi au-delà : la langue comme participant à la représentation du monde et de la société. Tout cela dans une perspective socio-cognitive, et encore plus précisément : socio-linguistique du développement de la connaissance.
Pointant le problème, en recherche, de la confusion qui existe trop souvent entre les objets, les terrains et les perspectives de recherche, Sauvage a commencé par distinguer ses terrains de recherche qui sont l’école et la famille (le milieu institutionnel qu’il a séparé du milieu naturel), des perspectives qui sont avant tout sociales et s’inscrivent dans une approche historique et épistémologique en rappelant que son objet de recherche est l’acquisition de la langue chez les enfants d’un point de vue phonétique versus phonologique. Ce qu’il souhaite avec son travail c’est faire avancer la réflexion sur l’appropriation des langues en considérant la didactique comme un domaine situé en aval de la théorie des langues, il s’agissait d’étudier le processus d’appropriation à l’œuvre en L1 pour améliorer l’acquisition des autres langues.
Sa question est plus comment l’enfant apprend à parler une langue plutôt que comment il parle : il a tenté de saisir la construction et les enjeux d’un processus à l’œuvre plutôt que de décrire un phénomène fini, c’est-à-dire qu’il a cherché à savoir comment les enfants s’approprient la langue plutôt que la façon dont il l’utilisent. Il s’agit d’une interrogation sur les processus psycho-sociaux dans le développement de l’acquisition de la langue en se focalisant sur les actions et les interactions. Il a décrit lui-même son approche comme interdisciplinaire ou « indisciplinaire » (terme qu’il a utilisé rapidement et comme en se corrigeant, peut-être par l’extrême nouveauté de ce terme qui est encore trop discuté en recherche ?) : il mène une interrogation sur la frontière (poreuse) entre les disciplines pour penser un continuum entre didactique, linguistique, psychologie, sociologie, sciences de l’éducation…
Pour réaliser ce travail il est parti de plusieurs dynamiques en milieu naturel (en partant de l’hypothèse qu’il y a une variabilité des vitesses des chemins d’appropriation chez les apprenants) qui auraient une conséquence nouvelle sur les rythmes d’apprentissage en classe de langue et donc sur la façon dont on doit enseigner. Il a constaté en tant qu’enseignant mais aussi en tant que père l’impossibilité d’enseigner à tous et au même rythme un même objet d’apprentissage. Il refuse de se pencher sur la moyenne statistique (qui pour lui, ne saurait pas être une donnée valide) pour s’intéresser plutôt aux pics et creux, aux bifurcations qui sont pour lui essentielles pour des données de recherche.
Pour ma part, je garde comme matière à développer pour ma propre recherche la réponse aux commentaires effectués par son directeur après sa présentation. Jean-Louis Chiss a repris un terme que Sauvage a utilisé dans sa rédaction, à savoir celui de « télescopage » des normes. Sauvage a répondu que l’expression « télescopage des normes », il l’a empruntée à une collègue à propos des enfants grands. Pour expliquer ce qu’il entendait par télescopage de normes il est revenu sur la frontière entre milieu institutionnel et milieu naturel :
« Cette langue de l’école a pratiquement le statut de langue étrangère y compris pour des apprenants francophones. La langue édicte un cadre et des règles qui sont parfois extrêmement éloignées des pratiques quotidiennes des locuteurs (même natifs). Ce qui me fait réfléchir à cette idée d’identité complexe car un élève est également un enfant. »
Me semble indispensable le fait de tenir compte de l’apprenant comme étant une identité complexe mais aussi le fait de tenir compte des pratiques vraies, réelles des locuteurs, pour mieux comprendre leur évolution dans la façon de parler. Après l’intervention de monsieur Chevrot, Sauvage a aussi pointé un problème essentiel de la recherche : « Il faut se garder d’opposer les théories aux faits. […] Je ne vois pas d’incompatibilité entre la linguistique cognitive et un point de vue beaucoup plus social dans l’accès à la connaissance. »
Tous les membres du jury on reconnu la pluridisciplinarité ou interdisplicinarité de ce travail dont on sent que la place de l’enfant y est première avant tout. Une recherche engagée qui n’oublie pas de se remettre en question elle-même et qui a une volonté de construire ou de changer plutôt que de décrire l’état actuel des choses.
Dans sa très large bibliographie, qui a été présentée par Jean-Louis Chiss après sa soutenance, je voudrais mettre en avant :
Demougin Françoise, Sauvage Jérémi (dir.), La construction identitaire à l’école, perspectives linguistiques et plurielles, L’Harmattan, 2012.
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=37732